Tag: <span>Tunisie</span>

Najet Laabidi Appeals-Français

Condamnée pour avoir défendu ses clients : Maître Najet…

Par Bernard J. Henry.

Najet Laabidi; il est des années qui marquent l’histoire d’un pays;  mais aussi celle d’une association. L’année 1961 est, pour l’Allemagne, celle de la construction du Mur de Berlin; qui allait devenir le symbole le plus douloureux de la Guerre Froide; de même qu’elle est l’année de la création, au Royaume-Uni, d’Amnesty International. Cinquante ans plus tard, pour la Tunisie 2011;  est l’année d’une révolution victorieuse du peuple contre la dictature; la première de son genre dans le monde arabe.

Douglas Mattern.

Pour l’Association of World Citizens (AWC);  c’est l’année de la disparition de son Président-fondateur;  Douglas Mattern, emporté par un cancer dans la banlieue de San Francisco.

 

Mais c’est aussi l’année où nous avons commencé à suivre un cas individuel; sur lequel  au début de la décennie nouvelle; et au milieu de la tragédie mondiale sur laquelle elle s’ouvre;  nous travaillons toujours. L’un des volets de ce cas vient de connaître son dénouement en justice; un dénouement qui;  pour n’être pas des plus sévères, ne peut pourtant nous satisfaire. Car lui aussi est porteur d’un symbole, lourd, trop lourd et menaçant.

Civile jugée par des militaires, avocate punie pour avoir défendu.

Ce cas, c’est celui de Najet Laabidi; avocate, Défenseure des Droits Humains (DDH). Comme nous l’écrivions le 27 mai 2017 dans notre article;  «Najet Laabidi, avocate engagée pour l’Etat de droit en Tunisie» :

«Le 8 novembre 2011, choisie et contactée pour représenter des victimes de mauvais traitements dans l’affaire Barakat Essahel, l’avocate subit un déluge d’insultes et de menaces de la part de proches d’anciens officiels de l’Etat poursuivis en justice pour avoir torturé des prisonniers politiques sous Ben Ali. D’abord par téléphone avant le procès, puis le jour venu, en pleine salle d’audience.

La police militaire évacue les auteurs des injures et menaces, mais ne lève pas le petit doigt pour protéger l’avocate. Il lui est ordonné de ne pas quitter le prétoire jusqu’à ce que tout le monde soit sorti. Elle décline une proposition de la raccompagner en voiture. Le ton est donné de ce que seront les années qui suivent pour Najet Laabidi.

Quatre ans plus tard, deuxième round. Le 26 novembre 2015, elle plaide lors d’une audience d’opposition contre Ezzedine Jenayeh, ancien Directeur de la Sûreté nationale sous Ben Ali, condamné par contumace pour délit de violences dans l’affaire Baraket Essahel et qui conteste le jugement. D’entrée, la procédure consacre l’arbitraire.

Najet Laabidi avait accusé Leila Hammami.

[Devant le Tribunal militaire, Najet Laabidi avait accusé Leila Hammami, juge du Tribunal militaire de Première instance,] de partialité, les propos de Najet Laabidi ayant été filmés puis diffusés sur les réseaux sociaux. «Dans ma vidéo,» rappelle l’avocate, «j’ai évoqué les circonstances de l’impunité, j’ai souligné que le Tribunal militaire ne pouvait pas consacrer les principes d’un procès équitable car, dans ce corps d’Etat, il y a toujours la corruption». Nouvelle plainte de Leila Hammami le 21 décembre 2015, la magistrate versant au dossier un CD de l’enregistrement de Najet Laabidi lui disant ses quatre vérités.

Il n’en faut pas plus au Procureur général près la Cour d’appel de Tunis pour lancer des poursuites sur le fondement de l’Article 128 du Code pénal pour «outrage à un fonctionnaire public». Convoquée le 1er février 2016 devant le juge d’instruction du Tribunal de première instance de Tunis, Najet Laabidi refuse de comparaître. Le 12 octobre 2016, elle est condamnée par contumace à un an d’emprisonnement.

Informée de sa condamnation seulement le 24 avril dernier, l’avocate y fait opposition. A l’issue de son audience le 10 mai dernier, Najet Laabidi est condamnée à six mois de prison, décision dont elle interjette immédiatement appel. Mais qui n’aurait jamais dû intervenir en premier lieu, puisque ce qu’on lui reproche, outre peut-être son appartenance à un parti politique d’opposition, c’est d’avoir agi comme ce qu’elle est – une avocate.»

La Constitution Tunisienne.

Qu’importe que tant la Constitution tunisienne que le droit international des Droits Humains interdisent la comparution de civils devant les juridictions militaires; dont les justiciables sont par définition les seuls membres des forces armées. Najet Laabidi comparaît le 27 juin 2019;  devant le Tribunal militaire de Première instance de Tunis. A l’issue d’une délibération aux allures d’interminable, le 12 mars 2020; l’avocate est reconnue coupable; et condamnée à une amende symbolique de huit dinars tunisiens; soit 2,50 € ou $2,79.

 

L’ONG FrontLine Defenders annonce la condamnation de Maître Najet Laabidi

Mieux vaut une amende symbolique qu’une peine d’emprisonnement ferme; certes, comme celle qui lui aurait été à coup sûr infligée pour les mêmes faits sous Ben Ali. Mais cela reste trop; car justement, c’est un symbole.

Une Défenseure des Droits Humains humiliée.

Ce n’est un secret pour personne;  le droit tunisien est un héritier direct du droit français; qui l’a construit pendant; la période de protectorat de la France en Tunisie de 1881 à 1956. A cette exception près que la justice tunisienne ne dispose pas d’un instrument historique et juridique majeur comme; la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen proclamée en France en 1789;  aujourd’hui partie intégrante de la Constitution de la République française. Les formes y sont;  mais jusqu’en cette année 2011, le fond;  les justiciables tunisiens avaient pris l’habitude de s’en passer. Sauf peut-être les opposants et DDH qui garnissaient régulièrement les cellules du régime. Et ce droit français recèle un intriguant symbole.

l’euro symbolique.

Que ce soit au civil ou en tant que partie civile dans un procès pénal ou criminel; il est possible de demander à son adversaire; qui sera au pénal le prévenu et l’accusé en cour d’assises; un «euro symbolique» de dommages et intérêts, descendant logique du «franc symbolique» qui servait la même fonction. Lorsqu’il ne s’agit pas de balayer les accusations du public d’opportunisme financier; surtout si l’adversaire est notoirement aisé; l’euro symbolique est une solution commode pour faire reconnaître du juge son préjudice d’estime sans avoir à demander une somme conséquente qui ne serait jamais accordée; tant il serait impossible de prouver un préjudice moral ou financier conséquent. Pour autant; l’euro symbolique n’en peut pas moins servir d’outil de vexation envers la partie condamnée; qui se voit ainsi refuser toute idée de puissance et réduire au dénuement moral.

Une Double Insulte.

Condamner Najet Laabidi à huit dinars symboliques;  comme elle aurait pu l’être à un «dinar symbolique»; c’est envers elle une double insulte. D’abord parce qu’elle n’a commis aucun acte qui eût pu lui valoir une comparution en justice;  ayant rempli ses charges d’avocate et aucun Etat se voulant un Etat de droit ne peut judiciariser quiconque pour cela ; voilà qui, à bon droit;  interroge sur l’Article 128 du Code pénal tunisien et son intitulé périlleusement vague d’ «outrage à un fonctionnaire public».

Ensuite; parce que c’est sa qualité de DDH elle-même qui s’en trouve niée;  ses juges lui accordant la faveur d’une peine clémente alors que la moindre conscience juridique aurait dû les amener à une seule et unique conclusion;  celle de l’iniquité de toute peine même symbolique envers elle; professionnelle du droit œuvrant pour la défense des valeurs mêmes qui avaient fait descendre les Tunisiens dans la rue et, in fine, amené la chute du régime Ben Ali puis l’avènement du système actuel;  ce système dont ces mêmes juges font partie.

Maître Najet Laabidi de nouveau visée par les autorités tunisiennes.

En ce sens-là, oui, l’amende infligée à Najet Laabidi a la valeur d’un symbole. Le symbole d’une Tunisie qui, depuis 2011;  avance vers l’Etat de droit mais bien souvent trébuche. Dans notre article du 18 mars 2018 intitulé «Maître Najet Laabidi de nouveau visée par les autorités tunisiennes»;  nous notions encore :

«Si l’on juge un pays sur la manière dont il traite les personnes handicapées, alors la Tunisie a besoin d’un bon avocat. Et si l’on juge un pays au respect que les pouvoirs publics accordent aux avocats, alors la terre du Jasmin semble en chute libre vers l’indéfendable».

Autant dire que Najet Laabidi a elle aussi, plus encore; la valeur d’un symbole. Le symbole des DDH de tous parcours de vie et milieux professionnels; même si les praticiens du droit sont par définition mieux armés pour défendre;  qui permettent tant soit peu à cette Tunisie en chute libre de se raccrocher aux branches. La valeur d’un symbole à défendre; car de là dépend la réalité de demain de l’Etat de droit en Tunisie. Et partout ailleurs; parce qu’un symbole de liberté n’a pas de frontières.

Bernard J. Henry est Officier des Relations Extérieures de l’Association of World Citizens.

Appeals-Français

En Tunisie, Les Femmes ne Doivent plus être les…

Par Bernard J. Henry et Cherifa Maaoui.

Il est des anniversaires qui ne sont pas des fêtes. Cette année, la Déclaration et Programme d’action de Beijing adoptée à l’issue de la Quatrième Conférence mondiale sur les femmes, du 4 au 15 septembre 1995, a quinze ans. En décembre;  la Résolution 1325 du Conseil de Sécurité des Nations Unies sur les conflits armés et les femmes aura vingt ans. Malgré ces deux anniversaires capitaux, dans le monde d’aujourd’hui, les femmes n’ont trop rien à fêter.

C’est encore plus vrai de celles du monde arabe, bientôt dix ans après les révolutions populaires parties de Tunisie avec l’éviction du Président Zine el Abidine ben Ali le 14 janvier 2011. La Tunisie, considérée comme le seul vrai succès du « printemps arabe » et dont les institutions héritées de cette époque tiennent toujours, tandis que l’Egypte est retournée vers l’autoritarisme et l’espoir s’est perdu dans les sables de la guerre en Libye, en Syrie et au Yémen. Epargnées par le conflit armé, les Tunisiennes n’en ont pas moins dû lutter, menacées dans leurs droits par la mouvance islamiste et jamais confortées dans ceux-ci par la droite « destourienne » se voulant héritière du bourguibisme.

Aux prises avec une incertitude politique inédite depuis la révolution de 2011, ouverte par le décès du Président Beji Caïd Essebsi en 2019, la Tunisie a connu une élection présidentielle marquée par le fait que l’un des deux candidats qualifiés pour le second tour, Nabil Karoui, se trouvait depuis peu en détention. En sortit vainqueur un conservateur assumé, le juriste Kaïs Saied, suivi du retour en force au parlement du parti islamiste Ennahda. Rien qui laisse augurer d’avancées dignes des deux anniversaires onusiens en Tunisie, où il ne manquait qu’un drame criminel pour venir plonger dans la terreur et la rage des femmes n’en pouvant plus d’être les oubliées des colères de l’histoire.

Les Droits des Femmes Constamment écartés de la Loi.

En disparaissant;  Beji Caid Essebsi laissait en héritage aux Tunisiennes un espoir déçu, ou plutôt, inaccompli. En novembre 2018;  son gouvernement approuvait un projet de loi, transmis à l’Assemblée des Représentants du Peuple chargée de se prononcer;  sur l’égalité des sexes dans l’héritage;  là où un Code du statut personnel qui se distingue dans le monde arabe et musulman par son aspect moderniste et progressiste cohabite étrangement avec une survivance de la charia en droit tunisien n’accordant à une femme que la moitié de l’héritage d’un homme.

 

Caid Essebsi décédé;  son successeur Kaïs Saied élu dans un climat de chaos constitutionnel;  le projet de loi tombait dans l’oubli. Fidèle, trop fidèle même, à ses annonces de campagne en faveur d’une prépondérance systématique de la charia en cas de conflit avec le droit civil; le nouveau chef d’Etat choisissait de célébrer la Fête nationale de la Femme Tunisienne le 13 août dernier en désavouant la notion d’égalité telle que défendue par le projet de loi.

Dans le même temps, Rached Ghannouchi;  chef historique du parti islamiste Ennahda;  devenait Président de l’Assemblée des Représentants du Peuple. Très vite, il trouvait sur son chemin une avocate et députée;  Abir Moussi, du Parti destourien libre fondé par d’anciens responsables du Rassemblement constitutionnel démocratique;  le parti unique sous Ben Ali dissous après la révolution.

Certes, les menaces d’Ennahda sur l’égalité des sexes en Tunisie;  notamment à travers un projet de déclarer les femmes « complémentaires » des hommes et non leurs égales dans la future Constitution;  ont laissé des souvenirs amers. Mais cet affrontement entre un ancien dissident devenu dignitaire et une bénaliste sans repentir offrait peu d’espérance, lui aussi, à des Tunisiennes dont les droits semblaient cette fois mis en sommeil pour longtemps.

Soudain;  aux errements d’une politique tunisienne orpheline est venu s’ajouter un crime – plus exactement, un féminicide. De ceux qui sortent la politique du champ de la raison;  faisant d’elle, à coup sûr, la politique du pire.

Quand un Féminicide Ravive le Désir de Voir l’Etat tuer.

Le 21 septembre dernier;  la famille de Rahma Lahmar; âgée de vingt-neuf ans, signalait la disparition de la jeune femme alors qu’elle rentrait de son travail. Quatre jours plus tard; son corps mutilé était retrouvé à Aïn Zaghouan, en banlieue de Tunis; et il apparaissait bientôt qu’avant d’être tuée, elle avait été violée. Rapidement; l’auteur présumé était appréhendé – un récidiviste condamné deux fois pour tentative de meurtre.

Il n’en fallait pas plus à l’opinion publique pour réclamer la peine de mort;  jamais abolie en droit tunisien bien que faisant l’objet d’un moratoire depuis 1991. Les magistrats tunisiens continuent de l’infliger;  quelques cent trente personnes se trouvent aujourd’hui dans le couloir de la mort en Tunisie;  mais personne n’est exécuté. Le violeur et meurtrier de Rahma Lahmar doit l’être;  estime la famille de la victime rejointe par une opinion publique excédée; ainsi que par un Kaïs Saied qui en vient lui-même à rouvrir la question de la peine de mort.

Quelques jours après; l’Algérie voisine était ébranlée par un drame semblable. Le 1er octobre; une jeune femme de dix-neuf ans prénommée Chaïma tombait dans un piège tendu par un homme qui, à seize ans, l’avait violée et avait lui aussi eu affaire depuis lors à la justice de son pays. Dans une station-service désaffectée, à une cinquantaine de kilomètres à l’est d’Alger, il la violait, la frappait, puis la jetait à terre, l’aspergeait d’essence et la brûlait à mort. Comme son homologue tunisien, il était arrêté sous peu et son crime ignoble réveillait dans le pays des envies de peine de mort.

Le 12 octobre; loin du monde arabe mais toujours dans le monde musulman, le Bangladesh; en proie à une vague d’agressions sexuelles; instaurait une peine capitale automatique pour le viol; sans s’attaquer en rien aux défauts de sa législation nationale en termes de violences contre les femmes.

En 2011, la révolution non-violente des Tunisiens avait inspiré le monde arabe jusqu’au Yémen. Aujourd’hui; le drame du viol mortel en Tunisie n’est peut-être pas ce qui donne envie de voir l’Etat faire couler le sang jusqu’en Asie, mais en tout cas, il n’y échappe pas. Pourquoi ?.

La Peine de Mort, Fausse Justice et Vrai Symptôme de L’injustice.

Quel que soit le crime commis; aussi abject soit-il et le viol puis le meurtre de Rahma Lahmar est l’archétype du crime impardonnable;  l’Association of World Citizens (AWC) est par principe contre la peine de mort où que ce soit dans le monde. Par indulgence envers les criminels ? Par faiblesse dogmatique ? Ces arguments n’appartiennent qu’à ceux qui ne comprennent pas ce qu’est en réalité la peine de mort, non pas un châtiment judiciaire comme l’est, par exemple, la réclusion criminelle à perpétuité, mais un meurtre commis par l’Etat, à l’image de celui commis par le meurtrier que l’on cherche ainsi à sanctionner.

Une vengeance;  sans rapport aucun avec la justice qui doit punir les criminels des actes par lesquels ils se mettent eux-mêmes en dehors de la société. Comme le chante Julien Clerc dans L’assassin assassiné; par l’application de la peine capitale; le crime change de côté. Pire encore;  là où un crime peut être commis sous une pulsion soudaine – qui ne l’excuse pas quand bien même – la peine de mort résulte immanquablement d’une délibération; consciente et volontaire; de citoyens agissant sous le couvert de la puissance publique.

Le violeur et assassin de Rahma Lahmar l’a privée pour toujours de son droit à la vie ; comment espérer réaffirmer les droits des femmes en Tunisie en appelant à ce qu’il soit lui aussi privé de son droit à la vie; plaçant ainsi l’Etat de droit au même niveau qu’un criminel récidiviste; ce qui serait du plus absurde et indécent ? Pas plus qu’elle n’a d’effet dissuasif prouvé; la peine de mort ne répare aucune injustice. Elle nous fait seulement perdre ce qui nous sépare des criminels. Pour quoi faire ?

Si la Déclaration et Programme d’action de Beijing en 1995; puis la Résolution 1325 du Conseil de Sécurité cinq ans plus tard; omettent toute référence à la peine capitale pour les crimes commis contre les femmes; ce n’est pas par hasard. On ne fait respecter les droits de personne en faisant couler le sang au nom de l’Etat; pas plus qu’on n’envisagerait de le faire par le crime.

En Tunisie; l’envolée des partisans de la peine de mort après celle de Rahma Lahmar en est, ironiquement, la preuve. Tant ils s’époumonent à crier vengeance, ils en oublient l’essentiel; la cause de tout le drame – la négation des droits des femmes. Et ce n’est même pas leur faute.

Seul le Respect des Droits des Femmes Peut Créer la Justice.

Lorsqu’il s’agit du meurtre; que ce soit celui d’une femme, d’un homme voire d’un enfant, pour justifier leur acte injustifiable; les meurtriers ne sont jamais à court de raisons. En revanche; le viol ne s’explique, lui; que d’une seule façon. L’homme qui viole une femme la réduit à un corps; sans plus d’esprit, celui d’un être humain comme lui; doté du droit de refuser ses faveurs sexuelles si elle le souhaite. Ce corps privé de tout droit; déchu de la qualité d’être humain de sexe féminin; soumis par la brutale force physique; n’est plus que l’objet dont entend disposer à son gré l’homme qui viole. Autant le meurtre ouvre grand les portes de l’imagination; autant le viol verrouille la vérité; celle d’une négation de la féminité; une négation de la femme.

A quoi s’attend, sinon à cela, une société tunisienne qui; au gré des alternances politiques postrévolutionnaires entre islamistes et droite bourguibiste; ne défend que mollement les droits des femmes lorsqu’elle n’en vient pas ouvertement à les nier ? Dans un Maghreb et, plus largement; un monde arabe et musulman où son Code du statut personnel se détache depuis toujours comme étant d’avant-garde; une Tunisie qui s’interdit d’avancer ne peut que se voir reculer.

C’est du reste ce qu’a bien compris Rached Ghannouchi; trop satisfait de pouvoir voler au secours de l’avocate et ancienne députée Bochra Bel Haj Hmida; en rien proche des positions d’Ennahda mais qui; pour avoir réaffirmé son opposition à la peine de mort en pleine affaire Rahma Lahmar; a subi un lynchage en règle sur les réseaux sociaux, jusqu’à un député notoirement populiste et sexiste;  qui s’est permis de tomber suffisamment bas pour imputer son refus de la peine capitale au fait qu’elle-même « ne risquait pas d’être violée ». De quoi faire passer les islamistes les plus réactionnaires pour des anges de vertu et ils savent en tirer profit.

Bochra Bel Haj Hmida

De tels propos; à l’aune du viol et du meurtre de Rahma Lahmar;  sont immanquablement la marque d’une société qui manque à consolider dans sa législation les droits des femmes; ainsi qu’à les inscrire durablement dans sa morale civique et politique. Il paraît lointain, le temps où, en 2014;  la Tunisie s’est débarrassée de ses dernières réserves envers la Convention des Nations Unies pour l’Elimination de toute forme de Discrimination envers les Femmes;  la fameuse CEDAW, là où Algérie, Egypte, Libye, Syrie et Yémen conservent leurs propres réserves. Un engagement international ne sert à rien si, chez lui, l’Etat qui le souscrit en ignore ou viole l’esprit.

Inutile de réussir sa révolution si, ensuite, on rate son évolution. Sans des femmes sûres de leurs droits; réaffirmés dans la loi comme dans les esprits; la Tunisie en aura tôt fini d’être en termes économiques, sociaux ou sociétaux; une éternelle success story.

 

Bernard J. Henry est Officier des Relations Extérieures de l’Association of World Citizens.

Cherifa Maaoui est Officier de Liaison Afrique du Nord & Moyen-Orient de l’Association of World Citizens.